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BIOGRAPHIE

LE PHILOSOPHE DE LA JOIE

« A l’origine dans l’Europe de la Réforme et du début du capitalisme, un jeune commerçant d’Amsterdam, juif et érudit, doute d’un monde pré-pensé par les théologies existantes, son nom, Baruch Spinoza, sa devise « caute » prend garde. Exclu de sa communauté il deviendra polisseur de lentilles oculaires et penseur de la liberté. Refusant tout principe de finalisme dans la nature, il affirme l’unité de l’âme et du corps, « Spinoza ou pas de philosophie » écrira Hegel. Aujourd’hui plus que jamais, l’auteur de l’Ethique fait l’actualité, on s’en réclame, à droite comme à gauche, chez les scientifiques, les laïques comme les mystiques. Penseur maudit puis réintroduit progressivement dans l’Histoire des idées, Spinoza demeure l’incontournable référence pour l’accès à une révolution permanente mais ce qui est encore plus iconoclaste, une critique permanente des idées religieuses, de la nature, des institutions politiques et sociales, de l’éducation, des représentations idéologiques du monde.

« Baruch de Spinoza naît en 1632 dans le quartier juif d’Amsterdam, d’une famille de commerçants aisés, d’origine espagnole ou portugaise. A l’école juive il fait des études théologiques et commerciales. Dès treize ans, il travaille dans la maison de commerce de son père tout en poursuivant ses études (à la mort de son père en 1654, il dirigera avec son frère, jusqu’en 1656) (…) La communauté d’Amsterdam est en majorité composée d’ex-marranes, c’està-dire de juifs ayant pratiqué extérieurement le catholicisme en Espagne et au Portugal, et qui durent émigrer à la fin du 16 ème siècle. Même sincèrement attachés à leur foi, ils sont imprégnés d’une culture philosophique, scientifique et médicale qui ne se concilie pas sans peine avec le judaïsme rabbinique traditionnel. Le père de Spinoza semble lui-même un sceptique qui n’en tient pas moins un rôle important dans la synagogue et la communauté juive. A Amsterdam, certains ne se contentent pas de mettre en question le rôle des rabbins et de la tradition, mais le sens de l’Ecriture elle-même : Uriel da Costa sera condamné en 1647 pour avoir nié l’immortalité de l’âme et la loi révélée, ne reconnaissant que la loi naturelle ; et surtout Juan de Prado sera mis en pénitence en 1656, puis excommunié, accusé d’avoir soutenu que les âmes
meurent avec les corps, que Dieu n’existe que philosophiquement parlant, et que la foi inutile.

Si Spinoza fut condamné plus sévèrement, excommunié dès 1656 ; c’est parce qu’il refusait pénitence et cherchait lui-même la rupture. Les rabbins comme dans beaucoup d’autres cas semblent avoir cherché un accommodement. Mais, au lieu de pénitence, Spinoza rédigea un Apologie pour justifier sa sortie de la synagogue, ou du moins une ébauche du futur Traité Théologico-Politique. Que Spinoza fût né à Amsterdam même, enfant de la communauté, devait aggraver son cas. La vie lui devenait difficile à Amsterdam. Peut-être à la suite d’une tentative d’assassinat par un fanatique, il se rend à Leyde pour continuer des études de philosophie, et s’installe dans la banlieue à Rijnsburg(…) Sans doute avait-il déjà à Amsterdam, du vivant de son père suivi les cours à l’école de Van den Ende fréquentée par beaucoup de jeunes juifs qui y apprenaient le latin, les éléments de la philosophie et de la science cartésiennes, mathématiques et physique : ancien jésuite, Van de Ende acquit vite la réputation non seulement de cartésien, mais de libre penseur et d’athée, et même d’agitateur politique (il sera exécuté en France, en 1674, à la suite de la révolte du chevalier de Rohan). Sans doute aussi Spinoza fréquentat-il des chrétiens libéraux et anticléricaux, collégiants et mennonites, inspirés d’un certain panthéisme et d’un communisme pacifiste. Spinoza devait les retrouver à Rijnsburg, qui était de leurs centres : il se relie avec Jarig Jelles, Pieter Balling, Simon de Vries et le libraire éditeur progressiste jan Rieuwertz. Toutefois il semble bien que den Ende resta attaché à une forme de catholicisme, malgré toutes les difficultés de ce culte en Hollande ( …) on pensera que Spinoza s’est naturellement tourné vers les milieux les plus tolérants, les plus aptes à recevoir un excommunié, juif qui refusait le christianisme autant que le judaïsme d’où il était issu et qui ne devait sa rupture qu’à lui-même. Parmi ses sens nombreux, l’excommunication juive avait un sens politique et économique.

C’était une mesure assez fréquente, et souvent réversible. Privés du pouvoir d’un Etat, les notables de la communauté n’avaient pas d’autre sanction pour punir ceux qui se dérobaient aux contributions financières ou même aux orthodoxies politiques. Or les notables juifs, non moins que ceux du parti calviniste, avaient conservé une haine intacte de l’Espagne et du Portugal, étaient politiquement attachés à la maison d’Orange, avaient des intérêts dans les Compagnies des Indes ( le rabbin Menasseh ben Israël, qui fut un des professeurs de Spinoza, faillit lui-même être excommunié en 1640 pour avoir critiqué la Compagnie de l’Est ; et les membres du conseil qui jugea Spinoza étaient orangistes, procalvinistes, antihispaniques, et pour la plupart actionnaires de la Compagnie). Les liens de Spinoza avec les libéraux, ses sympathies pour le parti républicain de Jean de Witt qui réclamait la dissolution des grands monopoles, tout cela faisait de Spinoza un rebelle. Aussi bien Spinoza ne rompt pas avec le milieu religieux sans rompre avec l’économique, et abandonne les affaires paternelles. Il apprend la taille des verres, il se fait artisan, philosophe-artisan pourvu d’un métier manuel, apte à suivre et saisir le cheminement des lois optiques.

Il dessine aussi (…) Vers 1661, il rédige le Traité de la réforme de l’entendement, qui s’ouvre sur une sorte d’itinéraire spirituel, à la manière ménnonite, centré sur une dénonciation de la richesse (…) Mais le projet et le commencement de l’Ethique, dès 1661, font passer Spinoza dans une autre dimension, dans un autre élément qui, nous le verrons, ne peut plus être celui d’un exposé même méthodique (…) En 1663, Spinoza s’installe à Voorsburg, banlieue de La Haye. Il s’établira plus tard dans la capitale (…) Mais en même temps qu’il se confie à un groupe d’amis, il les prie de garder ses idées secrètes, de se méfier des étrangers, comme il le fera encore à l’égard de Leibniz, en 1675. La raison de son installation près de La Haye est vraisemblablement politique : le voisinage de la capitale de guerre, fausses ambitions de la maison d’Orange, à la formation d’un Etat centralisé. Le parti républicain, a une politique de paix, une organisation provinciale et au développement d’un économie libérale. A la conduite passionnelle et belliqueuse de la monarchie, Jean de Witt oppose la conduite rationnelle de la république appuyée d’une méthode naturelle et géométrique (…) Depuis 1653, Jean de Witt est grand pensionnaire de Hollande.

Mais la république n’en reste pas moins une république par surprise et par hasard, par manque de Roi plutôt que par préférence, mal acceptée du peuple. Quand Spinoza parle de la nocivité des révolutions, on ne doit pas oublier que la révolution est conçue en fonction des déceptions que celle de Cromwell inspira, ou des inquiétudes que faisait naître un coup d’Etat possible de la maison d’Orange. L’idéologie « révolutionnaire » est alors imprégnée de théologie, et souvent, comme dans le parti calviniste, au service d’une politique de réaction. Il n’est donc pas étonnant que Spinoza, en 1655, interrompe provisoirement l’Ethique et entreprenne la rédaction du TTP, dont une des questions principales est : pourquoi le peuple est-il si profondément irrationnel ? pourquoi se fait-il l’honneur de son propre esclavage ? pourquoi les hommes se battent-ils « pour » leur esclavage comme si c’était leur liberté ? pourquoi est-il si difficile non seulement de conquérir mais de supporter la liberté ? pourquoi une religion qui se réclame de l’amour et de la joie inspire-t-elle la guerre, l’intolérance, la malveillance, la haine, la tristesse et le remords ?

En 1670 paraît le TTP, sans nom d’auteur et sous une fausse édition allemande. Mais l’auteur fut vite identifié ; peu de livres suscitèrent autant de réfutations, d’anathèmes, d’insultes et malédictions : juifs, catholique, calvinistes et luthériens, tous les milieux bien pensants, les cartésiens eux-mêmes, rivalisent en dénonciations (…) Un livre explosif garde pour toujours sa charge explosive l aujourd’hui encore on ne peut pas lire le Traité sans y découvrir la fonction de la philosophie comme entreprise radicale de démystification, ou comme si science des « effets ». Un commentateur récent peut dire que la véritable originalité du Traité est de considérer la religion comme un effet (J. P Osier, Préface à l’essence du christianisme de Feuerbach) Mais Spinoza doit quitter la banlieue, où la vie lui est rendue difficile par les pasteurs, pour s’installer à La Haye. Et, surtout, c’est au prix du silence. Les Pays-Bas sont en guerre. Quand les frères De Witt, en 1672, eurent été assassinés, et que le parti orangiste eut repris le pouvoir, il ne pouvait plus être question pour Spinoza de publier l’Ethique , une courte tentative à Amsterdam, en 1675, le persuade vite d’y renoncer. « Des théologiens en prirent occasion pour déposer ouvertement une plainte contre moi auprès du prince et des magistrats ; de sots cartésiens en outre pour écarter le soupçon de m’être favorables, ne cessaient pas et continuent d’afficher l’horreur de mes opinions de quitter le pays. » (Lettre LXVIII, à Oldenburg) Pour Spinoza, il n’est pas question de quitter le pays. Mais il est de plus solitaire et malade.

Le seul milieu où il aurait pu vivre en paix lui fait défaut. Il reçoit pourtant des visites d’hommes éclairés qui veulent connaître l’Ethique, quitte ensuite à se joindre aux critiques, ou même à nier ces visites qu’ils lui firent (ainsi Leibniz, en 1676). La chaire de philosophie que l’Electeur palatin lui offre à Heidelberg en 1673, ne peut pas le tenter : Spinoza fait partie de cette lignée de « penseurs privés » qui renversent les valeurs et font de la philosophie à coups de marteau, et non pas des « professeurs publics » (ceux qui suivent l’éloge de Leibniz, ne touchent pas aux sentiments établis, à l’ordre de la Morale et de la Police). « N’ayant jamais été tenté par l’enseignement public, je n’ai pu me déterminer, bien que j’y ai longuement réfléchi, à saisir cette magnifique occasion (Lettre XLVIII, à Fabritius). La pensée de Spinoza se trouve maintenant occupée par le problème le plus récent(…) est-il possible de faire avec la multitude une collectivité d’hommes libres au lieu d’un rassemblement d’esclaves ? Toutes ces questions animent le Traité politique, qui reste inachevé (…) En février 1677, Spinoza meurt, sans doute d’une affection pulmonaire, en présence de son ami Meyer, qui emporte les manuscrits. Dès la fin de l’année, les Opera posthuma paraissent sur don anonyme. » Gilles Deleuze , Spinoza philosophie pratique, ed de Minuit.

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